Jusqu’au 28 aout, les pays membres de la CITES débattront de l’inscription de nombreuses espèces animales et végétales sur ses annexes I et II. Avec pour vocation de contrôler voir de supprimer le commerce des animaux et des plantes les plus menacées au niveau international comme régional, la CITES représente désormais un outil incontournable de la protection des espèces.
Les espèces de raies guitares du genre Glaucostegus et de la famille des Rhinidae, les requins taupe-bleus ou « mako » (Isurus oxyrinchus) et les petits requins-taupes (Isurus paucus) sont proposées à l’inscription de l’annexe 2 de la CITES. Cette inscription n’interdit pas leur commerce mais lui impose une certaine durabilité et la mise en place d’outils de suivi, de contrôle et de gestion. Entre l’inscription à l’une des annexes et sa mise en œuvre, plus de trois ans peuvent s’écouler. Si des oppositions existent (à commencer par la FAO elle-même qui estime que le requin-taupe bleu ne satisfait pas aux critères d’inscription et que deux espèces de raies guitares ne disposent pas d’assez de données pour se prononcer), plus de 60 pays ont manifesté leur volonté de renforcer la protection des espèces de raies et de requins proposées. C’est une bonne nouvelle. On y remarque la présence des plus gros pays importateurs (Brésil) ou exportateurs (Espagne, Inde) de chair ou d’ailerons de requins.
Et pour cause. En mars 2019, l’UICN publiait un rapport alarmant sur la situation des populations de requins taupe-bleus (mako) et petits requins-taupes. Ces deux espèces passent du statut vulnérable (VU) à celui d’espèces en danger (EN) à l’image de l’éléphant d’Asie et de la baleine bleue. Leurs populations auraient chuté jusqu’à 60% dans l’Atlantique. Il n’est pas rare d’en observer sur les étals et dans les poissonneries des supermarchés. Principalement victime de la pêche à la palangre ciblée ou non, ces requins sont visés ou conservés pour leur chair et leurs ailerons. Ils sont particulièrement touchés par la pèche industrielle du thon qui déploie des kilomètres de lignes farcies d’hameçon.
Il faut voir ces armateurs européens, déclarés pour la pêche au thon ou à l’espadon, et labélisés MSC, déversant par dizaines des requins-taupes bleus et des requins peau-bleus au port de Vigo en Espagne, véritable plaque tournante internationale de l’export de viande et d’ailerons de requins. Bien sûr tout n’est pas sombre, de nombreuses conventions régionales et inter-régionales encadrent localement les prises volontaires ou accidentelles de ces requins du large. Quelques études permettent de prendre le pouls de l’impact de la pêche industrielle sur ces espèces à la reproduction peu productive, et des initiatives existent pour tenter de réduire les prises accidentelles au sein des pêcheries. C’est malheureusement bien peu de choses face à la situation telle qu’elle existe sur le terrain, entre les pêches illégales ou non-déclarées qui floutent le nombre réel de requins capturés et les dizaines de milliers d’engins de pêche non-déclarés (et parfois abandonnés) dérivant dans les océans…
Les raies guitares sont quant à elle au bord de l’extinction dans de nombreuses régions du globe suite à un effondrement massif de certaines de leurs populations et font partie de la famille de poissons marins la plus menacée au monde. Elles existent ou existaient aussi sur nos côtes et ont pour certaines espèces, telle la raie-guitare fouisseuse, totalement disparue de plusieurs zones de la Méditerranée selon l’UICN. Elles se font rares à l’observation dans les outremers quoi que régulièrement victimes de la pêche sportive et de loisir.
Une inscription à l’annexe II de la CITES permettrait de renforcer les initiatives régionales et inter-régionales concernant ces espèces. Les parties (Etats) signataires, et les organismes régionaux de gestion des pêches auraient la tâche de développer les outils nécessaires à la prise et à la mesure des résultats, pour renforcer les capacités d’identification de ces animaux et de leurs « morceaux » en amont comme en aval de la chaine commerciale. « Permettrait » si les inscriptions sont confirmées, mais rien, absolument rien, dans le cas où ces inscriptions seraient rejetées, n’empêche notre pays de mettre en œuvre ce qui n’est pas déjà fait et de renforcer les outils de contrôle du commerce de ces animaux.
Que les espèces de requins-taupe bleus, de petits requins-taupes et de raies guitares proposées soient inscrites ou pas en annexe de la CITES, nous pouvons, et devons, agir et préparer le terrain. Prendre les devants et se montrer exemplaire en matière de gestion des populations de requins taupes-bleus, petits requins-taupes et de raies guitares est tout à fait accessible à l’Etat Français et aux organisations gestionnaires des pêches.
Ainsi, en Polynésie Française et en Nouvelle Calédonie les requins sont déjà intégralement protégés, même si une tolérance existe pour quelques requins-taupes bleus (mako) dans le lagon calédonien. Aux Antilles aucune mesure de préservation particulière n’existe pour le mako, tandis que les espèces de raies guitares ne figurent pas sur la liste des espèces y étant recensées. En revanche, et alors qu’elle est en danger critique d’extinction au niveau mondial, la grande raie guitare est présente dans les eaux de La Réunion, tandis que la raie guitare à nez recourbé (vulnérable) est recensée à Mayotte. Les raies guitares sont également présentes dans les eaux de la Guyane française. Aucune mesure ne vient préserver ces populations.
En aucun cas les espèces de requins taupes désignées et celles des raies guitares ne représentent une source indispensable de nourriture ou de revenus pour les pêcheurs français. Chez nous leur pêche relève majoritairement du loisir ou de la pêche accidentelle. L’interdiction de pêche, de consommation et de commercialisation, notamment d’import et d’export, peuvent faire l’objet de réflexions et de concertations avec les usagers aujourd’hui et déboucher sur des initiatives nationales et régionales de protection de ces espèces du large et des côtes sans que cela n’impacte les économies locales.
Shark Citizen réitère vivement son soutien à la mise en place d’arrêtés de protection des espèces de raies guitares présentes en Guyane Française, à La Réunion et à Mayotte, ainsi que l’interdiction de la pêche de loisir et à visée commerciale, et la remise à l’eau systématique des deux espèces de requins taupes en danger dans l’ensemble de la ZEE française.