Crise requin, mon expérience d’éco-volontaire à La Réunion

Crise requin, mon expérience d’éco-volontaire à La Réunion

Témoignage de Chloé, éco-volontaire pour Shark Citizen à La Réunion de fin 2015 à fin juillet 2016.

De retour de mon stage de fin d’année au Mexique, je suis enfin diplômée d’un master d’écologie marine tropicale mais difficile de trouver un emploi. Où aller ? Dans quelle association m’investir ? C’est décidé ! Mon prochain voyage se fera sur l’île de la Réunion et j’envoie plusieurs candidatures pour offrir mon aide et mon expérience.

Plutôt intéressée par les peuplements des récifs coralliens je tombe sur le site internet et projet ReMORRAS de Shark Citizen.

À peine arrivée, la présidente Florentine me contacte, déjà je rentre dans le vif du sujet et j’apprends à comprendre la complexité de cette « crise requin ».

Elle me confie la responsabilité de ce projet d’observation et marquage (tags spaghettis) des requins récifaux à La Réunion. Aucune étude sur ces requins n’a été menée sur l’île auparavant. L’objectif est de contribuer à l’acquisition de connaissances sur ces espèces en s’entourant d’un réseau de professionnels de la mer, notamment des pêcheurs dont l’expérience et les compétences sont essentielles. D’après les données empiriques disponibles et récoltées par l’association depuis son arrivée sur l’ile en 2013, plusieurs espèces de requins juvéniles sont pêchées depuis le bord de mer. L’implication de ces pêcheurs en incitant à la relâche des espèces protégées dans le programme d’identification et marquage sur une période d’un an minimum permettrait de participer à un état zéro des populations.

Quelques jours après, je rencontre Olivier, qui m’accueille, m’aide à m’installer, me présente les membres de son association de pêcheurs et m’invite à un premier concours de pêche en kayak. Quoi de plus beau que voir l’île au lever du soleil ?!

Puis, je représente l’association lors de l’atelier d’identification des raies et requins pélagiques de l’Océan Indien. Cet atelier a été mis en place sur l’initiative du CRPMEM (Comité Régional Pêches Maritimes et des Élevages Marins) et suite à la proposition de Shark Citizen en 2015. Elle répond à un véritable besoin soulevé par de nombreuses associations locales. J’y rencontre plusieurs personnes et personnalité : le CRPMEM ; des pêcheurs ; l’université ; des associations de protection du milieu marin et de protection des usagers etc. J’ai notamment discuté avec Giovanni Canestri, père d’Élio, victime d’une attaque, qui m’a de-suite touché par son discours et sa force mentale. Les réunions se sont enchainées en ce début d’année, ce qui m’a permis de m’intégrer plus rapidement. Ce n’est pas si simple d’arriver dans un milieu ou tout est considéré comme « acquis » mais tout de même encore fragile. Toutefois, les tensions se sont manifestement bien calmées depuis l’émergence de solutions.

Avant de rencontrer toutes ces personnes et malgré la distance qui m’éloignait de cette crise requin, en tant que scientifique et comme beaucoup de métropolitains, je ne comprenais pas l’intérêt de prélever des requins et pourquoi ces tensions et cette médiatisation autour de ce que je considérais un phénomène « naturel ». J’ai décidé de m’intéresser à tous les points de vue véhiculés pour me faire ma propre image de la situation : ce qui est le principe même de Shark Citizen : la collaboration plutôt que la division.

J’ai très vite réalisé que bien des personnes étaient pour l’unité et que le phénomène était bien plus complexe que je le pensais sans être pour autant source de conflits comme présenté par les médias. J’ai rapidement réalisé l’importance qu’il y a à collaborer avec les différents usagers de la mer (pêcheurs, surfeurs, plongeurs etc.) afin de parvenir à des solutions satisfaisantes pour tous.

J’ai pu également comprendre l’intérêt de connaitre et protéger les requins de récifs, malheureusement souvent oubliés dans ce contexte de crise requin. Ces espèces protégées par arrêté préfectoral seraient une solution pour palier à la présence des requins bouledogues par compétition pour l’espace et pour favoriser le tourisme d’exploration sous marine. En effet, ceux-ci ont un intérêt patrimonial et esthétique important.

Après tous ces discours, il est donc temps de mettre en place les missions d’observation et de marquage et de faire des choses concrètes. Il faut trouver une équipe fiable et disponible régulièrement mais également réunir l’ensemble des conditions favorables et capturer un requin. Le plus complexe consiste à monter une équipe assez importante et motivé de pêcheurs bénévoles et s’adapter aux disponibilités de chacun. Les conditions météorologiques étaient très mauvaises cette année dans le sud, qui est une zone propice à la capture de requins. Une fois que les conditions sont réunies il est difficile de réussir à toucher un requin. Même des pêcheurs expérimentés reviennent souvent bredouille : il faut le bon matériel, les bons appâts, mais aussi la bonne technique et beaucoup de patience. Le manque de matériel a notamment été un problème pour l’organisation des sorties.

La mer et ses humeurs !

Après trois sorties dédiées à ces marquages et plusieurs concours de pêche au bord, aucun individu n’a été capturé mais en science même l’absence de données positive permet de tirer des conclusions. Nous avons pu en déduire que certaines zones n’étaient pas favorables à la pêche de requin et améliorer nos techniques.

Aujourd’hui je quitte la Réunion où j’ai pu y découvrir une culture, des traditions, des personnes, et des paysages plus beau les uns que les autres mais aussi complexes. En tant que scientifique ce séjour m’a notamment permis de me former à l’identification des requins et acquérir des connaissances intéressantes dans ce domaine qui m’était inconnu. Cette première expérience de bénévolat m’a beaucoup appris dans la gestion d’équipe, l’organisation de sorties, la représentation. Cependant, je m’envole pour de nouveaux horizons et missions dans l’Océan Indien sur la grande terre : Madagascar.

Je laisse derrière moi une équipe de pêcheurs et scientifiques fiables pour poursuivre ce travail. Je suis très optimiste quant à la suite de ce projet qui nécessite beaucoup de volonté de tout un chacun.

 chloe

Un mot de la part de la présidente de Shark Citizen

J’ai passé près de 3 ans sur l’ile de La Réunion a essayé de comprendre cette crise requin et à tenter de rendre Shark Citizen utile au milieu de cette problématique unique en son genre. Comme le dit parfaitement bien le docteur Idriss Aberkane au sujet de « l’économie de la connaissance », 1 connaissance + 1 connaissance ne font pas 2 connaissances, mais 3. C’est pourquoi, au delà de tout positionnement de jugement, nous avons essayé d’apporter notre pierre à cet édifice de la connaissance dont les acteurs de la crise requin, nous inclus, ont si cruellement besoin. Et ça marche. L’échange est productif. A bien des égards l’aventure est passionnante, humaine, triste aussi, et elle remet écologiquement parlant les choses à leurs places, entre idéologies et savoirs réels. Mais elle est pavée d’obstacles et sensible. J’avais donc quelques réticences en quittant l’ile, à l’idée de confier les projets initiés à des mains nouvelles et au regard neuf de quelqu’un n’ayant pas accumulé ces 3 années de partage avec les acteurs locaux. Je ne connaissais que trop bien la vision retransmise en métropole de cette crise requin. 

À aucun moment je n’ai eu à regretter la confiance donnée à Chloé, et pour cela je la remercie infiniment. Progressivement elle s’est approprié la problématique et a su rendre concrets des projets qui n’en étaient qu’au stade de l’idée sur le papier. Elle a donc réalisé un travail formidable, et pour être passée par là, je sais que ce n’est pas facile de le faire bénévolement, quasiment en solo car ma contribution était téléphonique, et fraichement débarquée. Il faut du culot : un grand bravo à elle. On regrette qu’elle n’ai pas pu s’ancrer plus longtemps sur place et on lui souhaite bon vent !

Florentine.

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